Samedi 30 mars, deux animatrices de l'Espace Jeune Olympiades
sont agressées par un jeune usager, provoquant une énième
fermeture de la structure depuis sa création en 1995. Ce problème
récurrent témoigne de la faillite de la Ligue de l'Enseignement,
gestionnaire des locaux, à maintenir à la tête de l'Espace Jeune
une équipe d'adultes repères pour les jeunes qui en manquent.
« Tu crois que tu peux jeter un de mes frères ? Tu cherches
la guerre ? Ramène la police, je les éclate, et après ce sera
ton tour. Je vais t'envoyer dans un fauteuil roulant ». Ce
samedi après-midi du 30 mars, c'est en ces termes que Xavier, 19
ans, agresse deux animatrices de l'Espace Jeune Olympiades, furieux
qu'elles aient renvoyé l'un de ses amis de la structure. Après cet
accès de rage, le jeune homme part, laissant les deux jeunes femmes
en état de choc. Car, bien qu'elles travaillent ici depuis seulement
trois mois, elles connaissent sa réputation. Xavier n'en est pas à
son premier coup d'éclat.
Si on l'a peu vu sur la dalle, ces derniers temps, c'est qu'il
passait deux ans à l'ombre, impliqué dans une tentative de meurtre
sur un collégien en 2010. « C'est un habitué de chez nous,
affirme le commissaire de police Nicolas Rémus. Il est inscrit dans
notre fichier depuis qu'il a 14 ans, et il a une bonne vingtaine de
garde à vue à son actif ». Depuis sa levée d'écrous, le
jeune, désœuvré, multiplie les frictions avec les salariés de
l'Espace Jeune. En janvier, un des animateurs-médiateurs a déjà
porté plainte contre Xavier pour insultes sur le lieu de travail et
menaces de mort. En février, rebelote, il agresse la responsable du
centre et une des animatrices. En un mot comme en cent, Xavier, c'est
la terreur du quartier.
Misère
« C'est le même refrain depuis des années », se
lamente un travailleur social de la dalle. Située au fin fond de la
dalle des Olympiades, au rez-de-chaussée d'une haute tour, le local
est très enclavé, et connaît depuis sa création en 1995, des
assauts et des fermetures répétées. C'est un des seuls endroits où
les jeunes du quartiers peuvent encore se réunir au chaud. Cédric
Bloquet, directeur des Espaces Jeunes de Paris pour la Ligue de
l'Enseignement (LE), brosse le profil du public accueilli par
l'Espace Olympiades : « Nous travaillons avec des 10-25 ans,
souvent confrontés à la misère sociale et intellectuelle, qui ont
des problèmes d'accès à l'emploi et de discriminations ».
Comment un caïd de quartier de moins de vingt ans parvient-t-il à
faire régner sa loi sur une structure dépendant de la Mairie du
XIII ? « Ces actes sont marginaux. On peut accuser la société,
le système scolaire, les familles ... Mais la mairie n'est pas
responsables des actes de délinquance. Nous avons parfaitement
rempli notre rôle », défend Isabelle Gachet, adjointe au maire de
Paris en charge de la Jeunesse. La défaite des institutions à faire
respecter l'Espace Jeune interroge : où se trouve la brèche
dans laquelle ce jeune s'est infiltré ?
La recette du karting
La crise de mars dernier survient après deux ans d'une relative
tranquillité, liés à la présence de Franck Gbalé, un responsable
recruté par la LE en décembre 2009. « A l'époque, nous
étions une Antenne Jeune, dont les missions étaient d'accueillir,
informer et orienter. Or les jeunes étaient en attente de loisirs,
condition sine qua non pour ensuite aborder leur orientation
professionnelle », affirme l'ancien responsable de l'Antenne.
Les jeunes veulent faire du karting ? L'animateur leur propose
un projet articulant une séance de prévention routière, un
comparatif des prestataires de karting et l'activité elle même. La
recette semble fonctionner : « En mai 2010, la paix était
instaurée, l'antenne tournait», affirme un partenaire de la dalle.
L'Antenne Jeune se développe à tel point qu'elle peut prétendre au
statut d'Espace Jeune, doté de missions supplémentaires, comme la
proposition d'activités de loisirs.
Les choses se gâtent au moment où la structure change
officiellement de statut... et de hiérarchie, en 2012. En avril, la
LE remporte le marché de l'Espace Jeune. « En septembre, au moment
du changement de statut, nous, salariés de la structure, ne savions
toujours pas quelles seraient nos conditions de travail, et le projet
pédagogique n'était toujours pas rédigé. Quand la mairie est
venue demander des comptes, elle a estimé cette absence de ce
document 'inadmissible '», raconte Franck Gbalé. Lui et son
équipe tiennent alors la direction de la LE responsable de cette
situation. En conflit ouvert avec cette dernière, le responsable
écope de trois blâmes pour insubordination avant d'être licencié.
« La LE a voulu me faire porter le chapeau du retard qu'avait pris
la structure », conclut le travailleur social. Quand Franck
Gbalé est remercié, en octobre, l'équipe éclate. Une nouvelle
responsable est nommée, sans transition. Et en janvier, deux
nouvelles animatrices-médiatrices sont recrutées. Sur la dalle,
jeunes et parents d'élèves affichent leur déception. « Franck
était plein de projets. Quand il a été licencié, nous avons été
choqués, car il était brillant et sympathique. Il faut croire que
certains jeunes se sont vengés en semant la pagaille », estime
Louisa, mère de deux jeunes habitués de l'Espace Jeune.
Pressions
Le soir du 30 mars, les deux animatrices agressées exercent leur
droit de retrait. S'en suivent de longues tractations entre la
Mairie, la LE et l'équipe de l'Espace Jeune. A moins d'un an des
municipales, la mairie du XIIIe ne peut se permettre de voir la
structure fermée pendant trop longtemps. Par ailleurs la LE paye des
pénalités pour chaque jour de fermeture. Pour ces raisons, la
direction de la LE exerce une pression sur ses salariés pour que
l'Espace Jeune rouvre ses portes, alors que les animatrices agressées
ont peur des risques de représailles. Avec raison. Le vendredi 26
avril, la structure se remet en marche, malgré les réticences de
l'équipe. Le soir même, deux jeunes hommes de la bande de Xavier
reviennent dans l'Espace Jeune et menacent l'animatrice agressée
par Xavier. Un jeune est mis dehors et revient avec une barre de fer,
insultant à nouveau une des animatrices. La réponse est immédiate :
mairie, agents de police, cadres de la LE arrivent à la rescousse,
et escortent les animatrices jusqu'au métro. La structure ferme à
nouveau pendant 15 jours.
Il aura donc fallu un mois pour que la direction prenne la mesure
du risque et mute les deux animatrices en interne. A l'Espace Jeune
règne un climat d'omerta : aucun des cinq salariés n'ose
répondre aux questions du 13 du mois, de peur, cette fois, des
représailles de leur direction.
Elsa Sabado
Dans le 13 du mois du 19/06/2013
Dans le 13 du mois du 19/06/2013
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