jeudi 22 décembre 2011

"On se fait engueuler toute la journée"




Mal payés, déconsidérés et constamment surveillés, les sous-traitants font de cette lutte une question de dignité.


«Pour Noël, on est prêts… C’est la galette des rois qui passera à l’as. La machine est lancée, on ne peut pas s’arrêter. C’est 200 euros ou rien», affirme Angélique, déterminée. Pour la reconnaissance de leur profession ; pour la dignité. En grève depuis sept jours, le cahier de doléances des agents de sûreté de Roissy, toutes entreprises confondues, ne cesse de s’emplir. En cause, leur salaire : 1 300 euros nets en moyenne pour un temps plein et, surtout, le manque de considération qu’il symbolise. Premier grief, l’humiliation permanente par les différents «contrôleurs» : superviseurs, Aéroports de Paris (ADP), Direction générale de l’aviation civile, police… Eric, délégué de SUD aérien s’insurge : «Nos employeurs ont une soumission canine vis-à-vis d’ADP. Ils acceptent tout et n’importe quoi pour garder le marché de la sécurité aéroportuaire, quelles que soient les conséquences sur notre travail.»

Suivent les problèmes d’horaires décalés pour les parents et les attestations maladies jamais envoyées par l’employeur à la Sécu pour dissuader les arrêts de travail. Une grande partie des agents de sûreté vient de l’Oise, de l’Aisne, à une heure de route. En arrivant à l’aéroport, ils se garent sur un parking gratuit mais éloigné (car toute place payante occupée par un sous-traitant est un manque à gagner pour ADP), puis doivent attendre la navette. «Si on retranche le coût du transport, certains d’entre nous ne sont même pas smicards», explique Flora. Atria, l’organisme immobilier qui attribue le 1% patronal de l’entreprise, lui a notifié qu’elle ne gagnait pas assez pour bénéficier d’un logement. Depuis trois ans, elle fait 136 heures par mois, et ses supérieurs refusent de lui accorder un contrat plus conséquent.

«Ils ont raison, ils sont traités comme des chiens !» constatent les femmes de ménage. Avec les pousseurs de chariot, elles sont mieux payées que les agents de sûreté. Elles applaudissent leur ronde entre les terminaux E et F. «On se fait engueuler toute la journée par les passagers à cause de procédures imposées par ADP, raconte Daniel.Tous les matins, les superviseurs tirent un poste au hasard et regardent "sa" caméra de surveillance pendant vingt minutes. Si on ne respecte pas les procédures, nos chefs nous convoquent et rédigent des rapports, les "actions correctives", qui se transforment ensuite en avertissements. Normalement, ces caméras servent à gérer le flux, mais nos chefs se fichent des recommandations de la Cnil», la commission informatique et liberté.

Pour remplacer les grévistes, les entreprises ont appelé des CDD, la police de l’air et des frontières et mis au travail les administratifs d’ADP. Ce sont contre ces derniers que les salariés sont le plus remontés. A travers la vitre, un petit groupe de syndicalistes invective les vestes orange : «Pas de sac dans les panières !» Puis un slogan monte :«Sbam, Sbam, Sbam !» C’est le fameux «Sourire-bonjour-au revoir-merci» auquel les agents sont soumis au quotidien. Concernant les CDD qui les remplacent, c’est à son employeur que Sirima s’en prend : «On nous casse les oreilles avec la sécurité, et là, on met des gens formés en un jour, qui ont obtenu leur assermentation en 24 heures alors qu’on l’attend pendant six mois. Deux agents qui avaient été mis à pied à cause de violences sur un troisième ont été rappelés.» Les agents travaillent au quotidien avec la police, et sont beaucoup plus tolérants à leur égard. «C’est historique ! Ils ont appelé la PAF pour nous remplacer ! Mais ils n’ont pas envie d’être là, ils sont réquisitionnés.»Assermentés par le préfet et le procureur, les agents ont peu d’animosité vis-à-vis des policiers : «On est nous-même des keufs sans statut», sourit Emilie.

Elsa Sabado,
Publié le 22 décembre 2011 dans Libération

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire