jeudi 30 août 2012

La cause économique

Crédit Photo: Jérôme Chatin
Bib’s de Michelin, Ptit Lu de Danone, Seafrance ... Philippe Brun s’est fait un nom en assurant la défense des salariés victimes de plans sociaux. Depuis 1999, il tente de faire voter un amendement « anti-délocalisation ». 

Date: Avril 2012


« Quand nous en serons, au temps des cerises »... Sur la boîte vocale de Philippe Brun, la voix d’Yves Montand vous fait patienter. Dans quelques jours, l'avocat rémois connaîtra l'issue du combat de sa vie : la Cour de cassation se prononcera sur son amendement « anti-délocalisation ». En attendant, l'orateur continue de parcourir la France... « Etre sur le terrain, c’est la meilleure manière de bien comprendre les situations. Et de gagner.»

Quand on arrive enfin à lui mettre la main dessus, il annonce la couleur : « Mon portrait, ce sont mes combats ». Ses yeux bleus acier sont noyés sous la crinière blanche et hirsute qui recouvre son visage. Lorsqu’il raconte ses batailles, rien n’arrête le mouvement de ses lèvres.

Son dernier coup d’éclat, c’est le dossier Sea France. La SNCF, dont elle est filiale à 100%, veut se débarrasser de l’entreprise de ferries. Résultat : 1600 salariés sur le carreau. En février 2011, la CFDT fait appel à Philippe Brun pour mettre en place la riposte. Il propose aux salariés de se porter candidats à la reprise de leur entreprise, sous forme de coopérative. Les magistrats refusent. « Je ne suis jamais abattu, jamais vaincu, affirme Philippe Brun avec aplomb. Il y a toujours une morale aux dossiers. On peut perdre, parfois. La justice humaine est nécessairement imparfaite. Mais le droit finira toujours par l’emporter ».

Le droit, c’est sa religion. C’est peut être par cela que l’avocat a remplacé le catéchisme de son enfance. Fils d’une postière et d’un maçon, Philippe Brun a grandi en Champagne, dans un milieu conservateur dont il garde une certaine idée de la France. Il se destine d’abord à une carrière de professeur d’histoire géo. Puis, déçu par l’anonymat de l’université, il choisit la justice. C’est là qu’il embrasse les idées socialistes. A 25 ans, il devient professeur de droit social.

Parallèlement, il fait office de « spin doctor » du maire socialiste de Charleville-Mézières. Puis, « chassé de la mairie par des ambitieux », il devient conseiller juridique pour la CFDT, toujours à côté de son emploi de professeur. En 1991, des amis avocats lui demandent de s'occuper du droit social pour leur cabinet. Il refuse : « Etre avocat, cela voulait dire être patron, j’étais attaché à ma liberté ». Puis finit par céder : en 1993, il prête serment.

Sa première affaire est ancrée dans son terroir. Le groupe LVMH supprime 250 emplois dans la maison de champagne Moët et Chandon. L’entreprise affiche pourtant une santé florissante. Lorsque la CGT débarque dans le cabinet de Philippe Brun, les salariés en grève occupent les caves. Avec
l’assurance insolente qui le caractérise, l’avocat leur propose un deal. « Donnez moi carte blanche, et je marche avec vous ». Il leur fait lever le camp, et leur promet de vaincre par la force de la loi. « Aucun plan social n’avait été annulé jusque là, ils étaient un peu mes cobayes », avoue Philippe Brun.
Il plaide le principe de proportionnalité, un argument inédit. Le 18 août 1993, la Cour de cassation lui donne raison. Pour la première fois, un plan social est annulé. Sa renommée prend une ampleur nationale.

Septembre 1999, Soissons. Michelin ferme une filiale pour délocaliser en Asie. Jospin rend visite aux futurs licenciés, et leur déclare : « L’Etat ne peut pas tout ». « Ce jour là, ils ont perdu les élections de 2002 », affirme Philippe Brun. Pourtant, il avait pris sa carte au parti en 1984, et faisait partie du comité national de soutien de Lionel Jospin à la présidentielle, en 1995. Quand François Hollande lui parle de la déclaration de Jospin comme d’une « erreur de com’ », la confiance qu’accordait l’avocat au PS se fissure.

Malgré tout, il propose au parti son amendement « anti-délocalisation ». Il doit permettre au juge civil de statuer, en amont, sur l’existence d’une « cause économique », condition nécessaire à la mise en place d’un plan social. Le PS ne donnant pas suite, il propose son amendement au Parlement Européen qui l'adopte. Pour le rendre effectif, l’Assemblée Nationale doit se prononcer. Le jour de la séance, les CRS empêchent les salariés d’entrer dans l’institution. Devant le grabuge, Martine Aubry, furieuse, reporte la séance à la nuit. « Et vous savez ce qu’elle a dit ? La cause économique est l’affaire de l’employeur, un point c’est tout. Ca se passait comme ça quand j’étais DRH à Pechiney » raconte Philippe Brun d’une voix pleine de colère.

Le juriste est alors « excommunié » par le PS. « Une lettre recommandée de Vincent Peillon, pas de tribunal populaire », se souvient-t-il. La rupture est consommée, et la plaie béante. « Le PS est devenu un parti libéral. C’est ce laisser-faire qui mène à la désindustrialisation actuelle».

L'avocat est totalement absorbé par son travail. Il a créé son propre cabinet, et y passe 70 heures par semaines, sans compter son métier d’enseignant. Quatre ans après avoir prêté serment, il divorce. « C’est une passion ravageuse » déplore-t-il.

Si Philippe Brun ne fait pas adopter son amendement anti-délocalisation par la politique, il l’obtiendra par le droit. Il défend tour à tour les « Ptit’Lu », licenciés par Danone, des employés des entreprises Sodimédical et Ethicon en 2011. Chaque fois, il plaide l’absence de cause économique, et gagne. Cela lui permet de faire examiner son amendement par la Cour de cassation pour qu’il fasse ainsi jurisprudence. La Cour rendra son jugement le 15 mars. « Et si je gagne, ce sera sans l’UMP et sans le PS, qui crient «Made in France » toute la journée mais qui laissent faire. » Il pourra alors couler des jours heureux à Marseille, où il a ouvert un autre cabinet, sa « zone de résistance sud », et où vit sa nouvelle compagne, rencontrée lorsqu’elle était correspondante en
Champagne Ardennes pour TF1, et leur fils de 10 ans. Mener le combat politique aux côtés de Jean- Luc Mélenchon, grâce à qui il n’est plus un « orphelin politique ». Et écouter des opéras lyriques en plein air à Aix en Provence. En attendant, il ne lâche rien.

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